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Développement de l’Afrique : L’urgence d’investir dans la production de la connaissance

l’Afrique doit sortir de la division internationale du travail et inventer son propre avenir économique à partir de ses propres priorités et besoins. (Ph. Marius Nouza)

Pour le père jésuite François Kaboré, l’Afrique et la Côte d’Ivoire en particulier doit aller au-delà de la production de matières premières pour miser sur l’économie de la connaissance afin de rattraper son retard. Invité spécial de la tribune « l’Ascad reçoit », organisé par l’académie des sciences, des arts, des cultures d’Afrique et de la diaspora (Ascad) le lundi  28 janvier 2019 à son siège, il a indiqué la marche à suivre et  insisté sur la nécessité pour chaque pays africain de faire ses propres choix et d’inventer son propre développement. 

En visite chez des amis exerçant dans l’industrie de l’anacarde en 2016 aux Etats-Unis, le père Kaboré est frappé par une réalité. Dans sa fierté de présenter la Côte d’Ivoire comme l’un des acteurs majeurs, sinon le premier producteur mondiale de cajou, il est surpris par l’indifférence de ces interlocuteurs qui lui font savoir qu’ils ne traitent pas avec la Côte d’Ivoire, mais plutôt avec des pays comme l’Inde, le Brésil ou le Vietnam, principaux transformateurs de cette importante spéculation mondiale. En effet, dans la manne financière produite dans l’industrie du cajou, les producteurs de la matière première ne perçoive qu’une part négligeable estimée à 5%, alors que les pays transformateurs se partage 65% de cette manne. La cause de cet important écart de revenus, le déficit de connaissance de la côte d’Ivoire en technologie de transformation ou le choix des autres de ne pas se contenter d’être de simples producteurs de matières premières mais d’y apporter de la valeur ajoutée. D’où l’importance de la connaissance ou de l’économie de la connaissance. « L’économie de la connaissance, c’est la prise de conscience que ce qui fait la puissance et la prospérité des nations, ce n’est pas la matière première mais la valeur ajoutée créée à partir de ces matières premières. Pour créer cette valeur ajoutée, il faut partir de la production de la connaissance, c’est-à-dire la technologie ou la science qui permet avec méthode de produire des choses qui répondent aux besoins des femmes et des hommes de nos pays » explique-t-il. Pour lui, investir dans l’économie de la connaissance est très important pour le développement économique et social des pays africains s’ils ne veulent pas rester dans la partie très infime des chaines de valeurs dans le monde.

Un mapping de la production de la connaissance défavorable

Face à cette réalité, le prêtre jésuite, diplômé Phd de l’Université américaine de Washington se pose la question de l’implication des africains dans la production de la connaissance. Aujourd’hui, le savoir est essentiellement produit dans les pays occidentaux et dans les pays d’Asie orientale. « Que faisons-nous pour que la connaissance garantisse notre avenir en Afrique ? », s’interroge l’homme de Dieu, par ailleurs directeur du centre universitaire jésuite Cerap/IDDH. Pour l’heure à cette question, l’on est forcé de reconnaitre que l’Afrique fait très peu.    Elle traine encore les pas et fait pâle figure devant les pays occidentaux,  asiatiques et même devant ceux d’Amérique latine comme le Brésil ou le Chili. Seule l’Afrique du sud sort son épingle du jeu avec un taux de financement de la production de la connaissance acceptable. Selon un article du confrère ‘La tribune Afrique », elle consacre un budget national de 6 milliards de dollars USD pour la recherche et le développement, ce qui la place à la 29ème place mondiale, soit le seul pays africain dans le top 40 du classement des budgets consacrés à la production de la connaissance. De façon générale, et selon un rapport de l’Unesco, l’Afrique produit 1% des connaissances scientifiques mondiales. Toujours selon l’Unesco, il y a 79 scientifiques pour un million d’habitants en Afrique contre 656 au Brésil et 4500 aux Etats-Unis.

Par ailleurs, lorsqu’on jette un regard sur le contenu des connaissances produites ou des brevets obtenus, on constate que l’Afrique n’est pas encore à la pointe de la connaissance. Si l’on prend un pays comme la Côte d’Ivoire et en s’appuyant sur des donnés de l’Organisation africaine de la propriété africaine (OAPI), force est de constater que la majorité des brevets d’invention portent sur les nécessités humaines, c’est-à-dire sur les besoins basiques quotidiens de la population et sur de petites technologies. On n’en est pas encore à des recherches ou des inventions de pointe dont les résultats  peuvent faire la différence dans le développement économique et social du pays. Ce qui est valable pour la Côte d’Ivoire, l’est aussi pour la plupart des pays africains.  « Ce que cela signifie, c’est que nos chercheurs sont encore en train d’essayer de résoudre les problèmes basiques de la vie. Cela implique que nos pays n’ont pas encore satisfait les petits besoins de la population ». Le constat est le même lorsqu’on se tourne vers la direction de la promotion et de la valorisation des innovations technologiques (DPVRIT) du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Les nécessités humaines et les petites technologies dominent également : solutions pour mieux conserver l’attiéké, les fruits, solutions pour mieux décortiquer l’anacarde, etc. Le deuxième constat qu’on peut faire, c’est que la majorité des brevets sont privés. Ce qui dénote du dynamisme des individus dans la production de la connaissance technologique. En soi c’est une bonne chose, mais cela indique que l’argent publique investit dans la recherche scientifique à l’université et dans les centres de recherche ne sert pratiquement à rien. « Nos universités sont financés par l’argent publique et l’on est en droit de s’attendre à ce qu’il y ait plus de brevet publiques, malheureusement ce n’est pas le cas » constate le jésuite. Enfin, l’on note que les entreprises  privées ne financent pratiquement pas la recherche scientifique en Afrique, là où dans certains pays occidentaux, les entreprises consacrent en moyenne 3% de leur budget dans la recherche et le développement.

Marius Nouza

Bannir la division internationale du travail

Les raisons de la  faiblesse de la production des connaissances en Afrique ne sont pas figées et peuvent être identifiés sous plusieurs formes. L’une des explications peut se retrouver dans la division internationale du travail qui, de manière subtil, a répartit les pays ou les zones géographiques du monde entier dans des fonctions précises. Et la fonction qui a été confié aux pays en voie de développement à l’époque, c’était celle de la production exclusive de matières premières tandis que les pays occidentaux étaient vus comme ceux qui excellent dans les productions énergétiques, manufacturiers et technologiques, chacun selon sa spécialisation. Il se peut que les africains se soient contentés de ce rôle supposé de producteur de matières premières jusqu’à présent alors même que leurs pareils dans les pays asiatiques ont décidé volontairement de quitter ce rôle et de passer à la production de la valeur ajoutée à travers la production de la connaissance. C’est ce que constate le père Kaboré François lorsqu’il dit que « nos pays sont entrés dans l’économie moderne en s’inspirant de la division internationale du travail » et en s’y attachant. Pour le père jésuite, il est temps pour les pays africains comme la Côte d’Ivoire de prendre leur destin en main et de décider de ce qui est bon pour eux-mêmes. Il faut selon lui, que l’Etat mette en place un écosystème de production du savoir selon les besoins des populations. Déjà, il se réjouit de ce que le Ministère de l’enseignement supérieur ait déterminé cinq domaines de production du savoir à savoir l’agriculture, l’environnement, les technologies, l’énergie et les sciences naturelles et la santé. Mais il faut aller encore plus loin. Il propose aux pays africains de procéder par exemple par la smart specialisation (la spécialisation intelligente). « Si la division internationale du travail nous invite à demeurer dans le rôle de producteur de matière première pour avoir seulement 5% des chaines de valeurs, alors il faut abandonner ce choix. En revanche, si nous optons pour les avantages comparatifs définis par l’occident pour opter pour la smart spécialisation sur une approche stratégique de la création de la valeur ajoutée et de l’innovation en tenant compte de nos potentiels alors nous ferons la différence » argumente-t-il. Par ailleurs, il faut mettre en place un système d’incitation à l’innovation technologique. Les Etats-Unis ont mis en place en 1980, la Bayh dole act, une loi sur les brevets dont l’objectif est de permettre aux universités et de manière générale à toute entité non lucrative bénéficiant dans leur recherche de fonds publics de breveter eux-mêmes leurs découvertes et inventions de sortes à bénéficier de ses retombées économiques. En outre, les Etats-Unis ont mis en place des dispositifs leur permettant de reprendre à leurs comptes des découvertes technologiques des autres à l’image de l’European paradox. En effet, la plupart des technologies dans lesquelles excellent les américains aujourd’hui ont été d’abord développé par les européens (par exemple l’aéronautique, l’automobile, la production de films, etc). Le Japon quant à lui s’est développé en mettant en place un système de technologie à cycle court qui leur a permis de développer à travers de petits brevets l’industrie électronique. En Corée du sud, l’on a fermé les frontières à l’importation d’automobile ou d’appareils électroménagers et l’on a mis en place des centres de rattrapage technologique (center of technology catch-up). Ce sont autant d’exemples que les pays d’Afrique devraient suivre afin de définir leur avenir économique et social. Pour cela, il faut selon le docteur Kaboré, du courage et de la volonté politique. Il faut surtout que les pays africains financent leur propre production de la connaissance, car l’argent venant de l’extérieur ne peut servir qu’une cause extérieure.

MN

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